Le fils illégitime : Chapitre 1

Le fils illégitime
Claire Peraud

CHAPITRE 1

Il n’y avait rien de pire que d’attendre. Et généralement, dans ces moments-là, je pensais toujours à la même chose. Le jour de mes quinze ans, j’étais tombé gravement malade. Les médecins n’avaient trouvé aucune explication à ma fièvre ni les raisons de mes symptômes. Au bout de deux jours, beaucoup pensaient déjà que j’allais mourir. J’avais beau dire à ma mère que j’allais bien, c’était avec une voix presque inaudible que je prononçais ces mots. Aussi bizarre que cela puisse paraître, je me sentais bien. Je n’avais pas le sentiment que j’allais passer à trépas. Pourtant, le troisième jour, la fièvre augmenta de plus belle. Elle m’emporta dans une sorte de rêve éveillé où, à demi-conscient, je voyais mes parents entourés d’ombres que je ne comprenais pas. Depuis tout petit, le destin n’avait été guère clément avec moi. Mes parents adoptifs m’avaient trouvé au beau milieu d’un décor hivernal, posé au creux d’un rocher. Je n’étais alors qu’un nourrisson. Les terres d’Illisian sont peu favorables aux chaudes saisons et cette année, l’hiver s’était montré plus rude qu’à l’accoutumé. Mes vrais parents m’avaient abandonné dans les bois espérant que le froid viendrait à me tuer. Mais les choses s’étaient passées autrement. J’avais été recueilli par le marquis et la marquise de Beaucour et ces derniers m’avaient élevé comme leur fils. Mon père avait obtenu du roi Audric une adoption en bonne et due forme. Au regard de la loi, j’étais leur fils. Mais au regard des autres, je n’étais qu’un enfant mal né qui n’avait pas sa place au milieu du sang bleu… Malgré cela, j’avais passé une adolescence à peu près sans ombrage. J’avais eu de la chance. J’étais tombé sur des personnes qui m’aimaient que je fusse de bonne ou de mauvaise extraction. Au quatrième jour de ma maladie, il me sembla, dans un état second, que quelqu’un cherchait à me parler. Mais je ne comprenais rien. J’étais trop fatigué pour voir si j’étais en plein rêve ou dans la réalité. Ce fut ce jour-là que ma mère me remit ma gourmette. Celle que je portais quand ils m’avaient trouvé. C’était une simple médaille en fer gravée d’un ange, derrière laquelle était inscrite ma date de naissance : le 14 décembre 1540. Depuis ce jour, je ne l’ai jamais quittée. Le cinquième jour, la fièvre qui me tenaillait, finit par se dissiper. Elle était partie comme elle était arrivée. Au bout de quelques heures, j’étais de nouveau sur pied. Et personne ne sut réellement ce qui c’était passé. Cela reste encore aujourd’hui un vrai mystère et je cherche toujours à le comprendre.

Après cette histoire, beaucoup de gens disaient que j’étais de nature fragile. Ces balivernes me font doucement rire car en dehors de cet incident, j’avais une très bonne constitution physique. En quatre ans, je n’avais plus jamais été malade. Je souffrais cependant d’un autre problème qui, en ce qui me concerne, n’en était pas un. J’étais un solitaire. Bien que mon père fut le conseiller du roi et bien que le roi m’eut anobli, je ne fus jamais considéré comme l’un des leurs. La plupart des nobles de mon âge passaient leur temps à m’éviter ou venaient à moi par simple politesse. Leurs parents ne n’étaient pas mieux et m’observaient en coin dès qu’ils le pouvaient. Aussi, avais-je décidé de devenir distant et de repousser avec flegme toutes personnes susceptibles de m’approcher. C’était ma façon de me protéger. Tous ceux qui essayaient de me côtoyer jusqu’à présent avaient une idée en tête. Après tout, n’étais-je pas le fils du conseiller ? Pour rassurer mes parents, j’acceptais cependant de me montrer et je faisais certaines activités que se devaient de pratiquer les jeunes nobles de mon âge. Mais dès que je le pouvais, je m’arrangeais pour y couper. Il y en avait une cependant que mon père refusait que je négligeasse : l’escrime. En bon diplomate et fils de militaire, mon père m’y ramenait toujours sans qu’il y eut de discussion possible. Aussi, m’y rendais-je maintenant sans discuter. Mais je m’en dispensais à ma façon. Aucuns des jeunes gens qui venaient à ces classes, n’avaient réellement envie de savoir comment se servir d’une épée. Les seules choses qui les intéressaient c’était de savoir mouliner suffisamment pour sembler intelligent et d’avoir assez de prestance pour plaire aux filles. Ces enfantillages m’exaspéraient. Par conséquent, je me mettais dans un coin et passais généralement le cours à faire la sieste. Cependant les choses ne se passaient pas toujours comme je le souhaitais. Alors que je me tenais à l’écart, dans un lieu déserté par les autres participants, j’entendis mon nom. Je fis mine de ne pas l’avoir entendu car la voix ne m’était pas familière. Je pensais ainsi rester tranquille. Mais je me trompais :

« Gabriel de Beaucour ! fit de nouveau la voix.
Celle-ci Ă©tait maintenant toute proche et je gardais le silence :
- Ce qu’on dit sur vous est donc vrai, vous êtes du genre planqué ? continua la voix avec une petite note de cynisme qui m’énerva aussitôt.
- Votre ton ne me plaît guère, lançais-je de ma cachette. Vous feriez mieux de partir.
L’homme se mit simplement à rire. Je me levais brusquement pour le toiser. Mais, il ne sembla pas décontenancé par mon regard et s’avança vers moi. Il avait à peu près mon âge. Il était légèrement plus grand que moi et brun. Ses vêtements indiquaient qu’il était de bonne famille. Mais je n’avais jamais vu son visage auparavant. J’ai pourtant une très bonne mémoire :
- C’est donc ici que vous vous cachiez, continua-t-il en arrivant à ma portée. J’avais l’intention de partir après avoir défié tout le monde, quand on m’a dit que j’avais oublié une personne. Cela m’aurait ennuyé de prétendre que j’avais ridiculisé tout le club d’escrime alors que ce n’était pas le cas.
Le ton qu’il employait, était décidément très arrogant et j’avais du mal à ne pas rentrer dans son jeu. En observant derrière lui, je reconnus plusieurs jeunes du club. Ils avaient l’air de regarder ce que j’allais faire et ne s’avançaient pas trop. De là où je me tenais, je vis que l’un d’eux avait sa tenue déchirée. Un autre avait une estafilade à la main. Il était clair qu’ils venaient de passer un sale quart d’heure :
- Qui êtes-vous ? fis-je sans montrer le moindre signe d’énervement.
- Thomas, comte de Reney, pour vous servir. Je rentre de mes classes de gentilhomme du royaume de Nairal.
- On dirait qu’ils y ont oublié de vous apprendre la politesse, lançais-je pour voir sa réaction.
Le comte de Reney me sourit :
- Au moins, vous n’avez pas peur de donner votre opinion. Que diriez-vous de me défier pour voir lequel de nous deux est le plus fort ?
Alors qu’il me disait cela, il s’avança vers moi, épée engagée. J’attrapais mon fourreau en vitesse et bloquais sa lame :
- Je n’ai pas l’intention de me battre.
- C’est bien dommage car je ne partirai pas d’ici sans vous avoir tous défiés. Alors en garde !

Il n’avait pas l’air de rire. Aussi sortis-je mon épée de son étui et me mis en position, prêt à contrer le moindre de ses coups. Il se fendit vers moi et j’eus juste le temps de le parer. Je m’éloignais de lui afin de trouver un terrain plus dégagé. Quand il fut à ma portée, je l’attaquais droit vers la poitrine. Il dévia ma lame sur le côté et enchaîna une série de coup que j’eus grand mal à repousser. Il était très rapide et j’avais des difficultés à le suivre. Je trouvais cependant une ouverture et manquais de peu de le toucher. Il se ressaisit et je ne sais si je fus inattentif, mais je commis une erreur dans mon attaque suivante. Il était clair que j’allais perdre. Il lui suffisait de tendre le bras pour me toucher. Mais au lieu de cela, il s’écarta de moi et se remit en position. Il dut voir sur mon visage que je n’avais pas été dupe de sa manœuvre. Mais il fit comme si de rien n’était. Je jetais un coup d’œil à l’assistance. Personne ne semblait avoir vu ce qui s’était passé.
- Vous êtes distrait, fit-il en m’attaquant de nouveau.
Je le contrais encore. Mais bizarrement, l’échange me parut bien moins brutal. Nous enchaînâmes plusieurs attaques. J’eus même l’impression qu’il s’amusait à me montrer certaines parades. Tout ressemblait soudain à un jeu. Il était calme et le sourire moqueur qui marquait son visage avait disparu. D’un seul coup, il s’arrêta l’air sérieux et me fixa. J’en fis de même.
- Ces jeunes gens ne vous ont pas soutenu une seule seconde et pourtant vous êtes le seul ici qui semble mériter de tenir une épée. Nous nous reverrons, messire de Beaucour. »
Et alors qu’il terminait sa phrase, il partit. Je restais un instant interloqué. Je ne comprenais pas très bien le sens de cette visite. J’attendis qu’il eut passé la porte puis j’allai chercher mon fourreau et rangeai mon épée. Je vis alors dans le regard de ceux qui restaient quelque chose que je ne faisais que soupçonner jusqu’à présent. Ils me détestaient.

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A suivre…

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